Alors que la France et l’Angleterre n’en finissaient pas de s’étriper dans l’interminable guerre de Cent Ans, la puissante Bourgogne de Jean sans Peur ne dédaignait pas d’être celle qui tirait les marrons du feu en s’alliant alternativement avec celui ou ceux qui avaient, sur le moment, le plus de chances de conforter son pouvoir. Nicolas Rolin fut indéniablement le plus malin et le plus retors à l’exercice de ce petit jeu.
Rolin s’alliait aux Anglais pour exiger réparation de la France ! L’alliance de l’Angleterre et de la Bourgogne à peine conclue au traité de Troyes, en 1420, commençaient les négociations pour arriver à un rapprochement avec la France. Nicolas Rolin, bien sûr, menait le jeu, si bien d’ailleurs que Philippe le Bon le nommait chancelier de Bourgogne le 3 décembre 1422.
Cela n’empêcha pas que ce soit par ordre de Nicolas Rolin que les troupes de Bourgogne soient alliées à celles d’Angleterre lorsqu’il s’agit, en 1428, d’attaquer Orléans, ce qui, dans l’esprit des assaillants devait sonner le glas du royaume de France et en remettre les clefs à l’Anglais…L’intervention impromptue de la pucelle de Domrémy bouleversa quelque peu ces plans, mais, lorsque, le 23 mai 1430, Jeanne d’Arc fût faite prisonnière par les troupes du duc de Bourgogne devant Compiègne, ce fut Rolin qui appuya la demande de Pierre Cauchon. L’évêque de Lisieux entendait qu’elle fût livrée aux Anglais. Il en fut ainsi sans que Nicolas Rolin s’y soit opposé.
Il attacha bien plus d’importance à la préparation puis à la tenue des négociations d’Arras qui, le 20 septembre 1435, devaient mettre fin à la guerre de Cent Ans. Le roi de France, pour qui il était urgent que cessent les hostilités, consentit à peu près à tout ce que le madré Rolin exigea de lui. Pour ce qui concerne Autun, on relève notamment dans les clauses du traité que la perception des impôts et la nomination des fonctionnaires dans les élections royales d’Autun, comme à Chalon et à Mâcon, restaient du ressort du duc, ce qui, d’ailleurs, ne faisait que confirmer ce qui existait déjà.
Les Hospices de Beaune et l’hôtel Rolin
Certes la guerre était finie, mais les soldats, désormais désœuvrés, étaient toujours là. Or, les villes, exténuées d’allées et venues et d’exactions de troupes de tous poils, ne voulaient plus en entendre parler. Nicolas Rolin lui-même faillit l’apprendre à ses dépens lorsqu’il prétendit conduire une troupe armée à Beaune.
Il fallut attendre 1444 pour que le gouverneur de Bourgogne, le comte de Fribourg, parvienne à débarrasser le pays de ces bandes qui le dévastaient.
Rolin, pendant ce temps, s’était remarié. Le 20 décembre 1423, il avait épousé Guigone de Salins en troisièmes noces. C’est avec cette femme énergique et tout aussi soucieuse que lui de ses intérêts, qu’il entreprit, en 1443, l’établissement des hospices de Beaune. On vanta partout, à cette occasion, sa grande générosité et son altruisme. Louis XI, qui, pour avoir passablement fréquenté la cour de Bourgogne, avant son accession au trône, connaissait bien le personnage, préférait dire à qui veut l’entendre que le chancelier Rolin n’avait « fait que ce qu’il devait ». Et il ajoutait, perfide : « Il est bien juste qu’après avoir fait tant de pauvres durant sa vie, il leur donnât un logement après sa mort ! »
Si Beaune, qui, paraît-il, avait plus souffert qu’Autun des derniers troubles consécutifs à la guerre de Cent Ans, fut préférée pour l’érection des hospices, le chancelier n’avait pas pour autant oublié sa ville natale. Entre la rue des Bancs, dont le nom provient des étals de bouchers qu’on y dressait chaque jour, et celle aux Maréchaux qui n’était, à l’époque, qu’un fossé au pied du rempart du Château (ce qui lui valut cette appellation provenant de l’altération du « marais » entretenu là par ces fossés), il fit construire, à la place de la maison paternelle, un hôtel particulier qui porte encore son nom aujourd’hui et dont Jacques Gabriel Bulliot, « l’inventeur » de Bibracte, fit, à la fin du XIXe siècle, le siège de la Société Éduenne et le musée d’Autun.
La semi-disgrâce des vieux jours de Rolin
Pour plus de confort et peut être pour ne pas avoir à se mêler à la foule des chanoines et de leurs gens, Nicolas Rolin fit même construire une passerelle qui lui permettait, lors de ses séjours autunois, de se rendre depuis son hôtel, aux offices religieux de l’église Notre Dame qui se dressait à l’emplacement actuel du tribunal. C’est là qu’il passa ses vieux jours en semi-disgrâce. Philippe Le Bon était de plus en plus sous l’influence de la famille de Croy. Et lorsque le comte de Charolais, le futur Charles le Téméraire, qui était resté très attaché aux Rolin, prit Antoine, fils de Nicolas et Guigone, comme chambellan, Philippe le Bon, cédant à la famille des de Croy, contraignit son fils à le renvoyer. L’amertume fut grande à Autun !
On ne peut pas impunément bâtir une fortune, comme celle accumulée par Nicolas Rolin et se mettre délibérément au-dessus des lois sans s’attirer quelques inimitiés. En s’excluant lui-même, par exemple, des obligations de restitution des biens détournés, durant les guerres diverses et variées qu’avait connues son temps, Nicolas Rolin eut, bien sûr, à les subir, mais il tint tête ! Lorsque son troisième fils, Guillaume, fut accusé de meurtre, il parvint encore à démontrer qu’il était innocent et à faire condamner le coupable.
Il mourut à Autun le 18 janvier 1461 et fut inhumé dans la collégiale Notre dame du Chatel, Guigone de Salins, retirée à Beaune, eut encore le temps de faire un procès à son beau-fils, le cardinal, Jean Rolin, qui dura sept ans et qu’elle gagna avant de mourir et d’être inhumée à Beaune.
Le cardinal Jean Rolin et la flèche de la cathédrale.
« Rolin, c’est trop » aurait déclaré un jour le duc de Bourgogne à son chancelier qu’aucune richesse ne pouvait assouvir. Guigone de Salins ayant fait preuve d’à peu près autant d’âpreté au gain que son mari, nul ne s’étonne de la fabuleuse étendue de la fortune que les époux avaient amassée pas plus d’ailleurs que de la redoutable réputation de rapacité qu’on leur avait faite.
On ne peut pas nier, pourtant, qu’ils aient amplement contribué à cette espèce de reconstitution d’une ville tant de fois déchue, qu’il était alors en cours. Outre l’hôtel Rolin, comme on l’a vu, le chancelier fut un grand bâtisseur, dans l’Autun du XVe siècle. C’est à lui notamment que l’on doit la construction du couvent des Cordeliers, au nord de la muraille du château, à l’angle des actuelles rues aux Maréchaux et des cordeliers, sur un emplacement vraisemblablement vierge, à l’époque, de toute autre construction. Or, on sait qu’un tel établissement, outre l’activité qu’il induit par lui-même, attire nécessairement d’autres installations à sa périphérie, contribuant à remplir, peu à peu, le vaste espace laissé libre par la ruine de la cité gallo-romaine.
La rivalité qu’il avait lui-même suscitée entre le chapitre de la cathédrale, dépendant de l’évêque et celui de la collégiale Notre Dame du Châtel, dont il avait obtenu qu’ils soit placé directement sous l’autorité de Rome, se traduisit par une opposition plus nette encore entre ses deux fils, Jean ,Cardinal en 1449, à 41 ans et Guillaume de Beauchamp qui, succédant à son père dans l’hôtel Rolin et donc dans la protection de la collégiale, firent assaut, toute leur vie ou presque, de luxe et de magnificence, l’un pour la cathédrale St Lazare et l’autre pour l’hôtel familial.
C’est au cardinal Jean Rolin que l’on doit la flèche actuelle qui domine le chœur de la cathédrale et dresse son fin fuseau creux, sans la moindre charpente, à près de 80 mètres au-dessus du sol. Il la fit construire en 1469, en remplacement de la tour romane dont la structure en bois n’avait pas résisté à l’incendie allumé par la foudre d’un orage.
Pendant ce temps, son frère, guillaume de Beauchamp, pour ne pas être en reste, apportait toutes les améliorations et tous les enjolivements qu’il pouvait à l’hôtel familial dont il avait hérité.
D’après Autun, toute une histoire
Didier Cornaille
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